GreenWashing – Le Conseil d’Etat met un coup d’arrêt aux pratiques déloyales
Le constat de l’inadéquation entre le modus operandi du secteur industriel & commercial et les impératifs environnementaux est dorénavant l’objet d’un consensus étendu. En réaction, les opérateurs économiques ont rapidement adapté leurs stratégies marketing et, à défaut d’avoir transformé le fonctionnement de leur chaine de production, ils ont élaboré des identités de marques et des méthodes publicitaires qui permettent de faire croire aux consommateurs qu’ils satisfont à leurs attentes. Ces stratégies sont constitutives de pratiques commerciales déloyales au sens de l’article L. 121-1 du code de la consommation et, dans la mesure où elles privent les consommateurs des informations authentiques sur la nature de leurs achats, elles favorisent le maintien de pratiques industrielles et commerciales qui portent atteintes aux objectifs de préservation de l’environnement.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie définit le greenwashing – en français, l’écoblanchiment – comme « toute allégation pouvant induire le public en erreur sur la qualité écologique réelle d’un produit ou d’un service ou sur la réalité de la démarche développement durable d’une organisation ». Ainsi, les différentes catégories de greenwashing peuvent relever de deux attitudes : l’exagération des qualités environnementales du produit ou de la marque, ou l’atténuation de leur empreinte écologique.
C’est dans ce cadre que par une décision n°464945, le Conseil d’Etat a rejeté le recours en annulation introduit à l’encontre du décret n°2022-748 du 29 avril 2022. Cette décision a permis de consolider la mise en œuvre des outils de lutte contre le greenwashing, notamment en affirmant leur compatibilité avec le droit européen de la concurrence. Le Conseil d’Etat rappelle qu’avec cette loi le législateur « a souhaité renforcer la protection de l’environnement, en particulier par l’amélioration du traitement des déchets et de l’information des consommateurs sur les incidences environnementales des produits, en interdisant d’y faire figurer des allégations environnementales qui renvoient à des notions qui ne font l’objet d’aucun consensus scientifique, ou qui, en l’état de la technique, sont trop générales pour être vérifiables. ».
Le décret attaqué est le décret d’application de l’article 13 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, codifiée à l’article L. 541-9-1 du code de l’environnement qui dispose notamment qu’ « il est interdit de faire figurer sur un produit ou un emballage les mentions « biodégradable », « respectueux de l’environnement » ou « toute autre mention équivalente » ». Le décret d’application de cet article, qui fait l’objet d’un recours en annulation, reprend ce régime d’interdiction.
Pour en solliciter l’annulation, les requérants soutenaient que le décret d’application contrevenait au droit européen de la concurrence. Ils ont notamment soulevé l’inconventionnalité du décret à l’égard de :
– la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, qui vise à protéger les intérêts économiques de ces derniers ;
– le règlement n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif au produit cosmétique, qui vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine
– le règlement n° 648/2004 du Parlement européen et du Conseil relatif aux détergents, qui vise selon le Conseil d’Etat, « à établir des règles pour assurer la libre circulation, dans le marché intérieur, des détergents et des agents de surface […], tout en assurant un degré élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine ».
La solution adoptée par le Conseil d’Etat le 31 mai 2024 doit attirer notre attention à deux égards :
- Le refus de fragiliser le dispositif législatif et réglementaire de lutte contre le greenwashing
Le Conseil rappelle utilement les conclusions de l’étude d’impact de la loi du 10 février 2020 selon lesquelles les allégations « trop générales pour être vérifiable » figurant sur les produits « étaient régulièrement employées de manière trompeuse ou ambiguë ».
Ainsi, par sa solution, le Conseil d’Etat permet de confirmer l’évolution du régime applicable aux stratégies publicitaires et marketing susceptibles de porter atteinte à l’environnement et le droit des consommateurs de bénéficier d’une information sincère et transparente.
2. La consécration d’une application du droit européen de la concurrence en faveur des enjeux environnementaux
Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi au motif que les normes européennes mobilisées étaient inapplicables au décret faisant l’objet du recours en annulation.
Pour écarter ces moyens, le juge a rappelé la condition d’application d’une directive ou d’un règlement du droit européen de la concurrence (considérant n°5) : la disposition nationale à laquelle on souhaite appliquer le droit européen doit avoir la même finalité que les normes européennes en question. Ainsi, dans la mesure où le décret a pour objectif de « renforcer la protection de l’environnement », ne peut lui être appliqué la directive relative à la protection des consommateurs des pratiques commerciales déloyales, ni les règlements sur la protection de la santé des consommateurs de produits cosmétiques et sur la libre circulation des produits détergents.
Si le droit européen de la concurrence peut être utilement invoqué pour sanctionner le greenwashing lorsque cette pratique porte atteinte aux droits des consommateurs, il ne peut l’être pour remettre en cause la légalité d’une norme qui encadrent les pratiques de publicité et marketing dès lors que cet encadrement répond à une finalité environnementale.
Ainsi, il est possible de se servir du droit de la concurrence pour remettre en cause la pratique du greenwashing mais, inversement, les entreprises ne peuvent convoquer utilement le droit de la concurrence pour remettre en cause une norme qui limiterait leur droit à utiliser ce procédé publicitaire et marketing.
Autrement dit, le juge fait une application du droit de la concurrence qui permet de protéger les intérêts des consommateurs, entendus ici comme le droit de ne pas être trompé sur les qualités environnementales des produits mis sur le marché.
Une telle interprétation avait déjà été retenue par la haute juridiction judiciaire, notamment dans deux arrêts : en 2009 dans une affaire relative à la société Monsanto et au produit « Roundup » (Cass. crim., 6 oct. 2009, n° 08-87.757), et en 2014, à propos d’une publicité concernant un véhicule de la société Général Motors (Cass. crim. 21 Oct. 2014, n° 13-86.881).
En définitive, en produisant une interprétation du droit de la concurrence favorable à l’encadrement des pratiques qui relèvent du greenwashing, le Conseil d’Etat participe d’une dynamique juridique encore récente, dont les outils de contrôle et de sanction se mettent en place progressivement, tendant à une meilleure information des consommateurs et une plus grande transparence.
Vincent THERY & Noëline ROCHE